Par Claire Grégoire-Soto

Avril 2023

PHILINTE- Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ?
ALCESTE, assis Laissez-moi, je vous prie.
PHILINTE – Mais, encor, dites-moi, quelle bizarrerie…
ALCESTE – Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher.
PHILINTE – Mais on entend les gens, au moins, sans se fâcher.
ALCESTE – Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre.
PHILINTE – Dans vos brusques chagrins, je ne puis vous comprendre ;
Et quoique amis, enfin, je suis tous des premiers…
ALCESTE, se levant brusquement – Moi, votre ami ? Rayez cela de vos papiers.
J’ai fait jusques ici, profession de l’être ;
Mais après ce qu’en vous, je viens de voir paraître,
Je vous déclare net, que je ne le suis plus,
Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.

 

Si, dans Le Misanthrope, Molière met en exergue une dispute dans un style qu’on n’entend plus trop de nos jours, on ne peut pas nier que la scène garde toute sa fraicheur. Elle nous touche par l’intemporalité des émotions vives et des tensions qu’elle révèle.

Chaque jour, dans le travail, nous sommes confrontés aux autres. Pire que ça, nous en sommes souvent dépendants ! Les recherches sur l’évolution du travail pointent le fait que la dimension relationnelle de l’activité est de plus en plus importante. Par ailleurs, les spécialistes de la prévention des risques professionnels qui se penchent sur la question des violences au travail, comme par exemples les chercheurs de l’INRS, démontrent que cette dimension relationnelle se dégrade quand les salariés sont exposés à des facteurs de risques psychosociaux majeurs. Or, ces dernières années, de nombreux sondages traduisent une progression des environnements de travail dégradés.

Chez CSE-Assistance, nous observons un effet collatéral  de ces tendances : une forte augmentation des demandes et des questions sur le thème des tensions interpersonnelles, des conflits voire du harcèlement !

Alors, en tant que représentant du personnel, comment réagir quand vous constatez ce type de problème ? Quel est votre rôle ?

La réaction la plus couramment partagée lorsque nous sommes témoin de tensions entre plusieurs personnes, c’est souvent de ne pas s’en mêler. Et pourtant, il arrive que les élus soient sollicités ou même pris à partie. Quand on a pour mission de défendre les intérêts collectifs des salariés, il n’est pas évident de se positionner quand ces intérêts divergent. Mais ce dont il faut se rappeler, c’est qu’une situation de tensions a des impacts sur la qualité des conditions de travail et, par ricochet, provoquera des risques psychosociaux susceptibles de porter atteinte à la santé physique et mentale des protagonistes et de leur entourage.

Le CSE a une mission essentielle dans la prévention des risques, et l’amélioration des conditions de travail. Les élus participent à l’analyse des risques professionnels et sont force d’initiative dans la prévention. Ces attributions ne portent pas uniquement sur des thèmes génériques mais elles amènent les élus à s’intéresser à l’activité de travail réel et aux relations des salariés entre eux. Concrètement, cela se traduit par :

  • Une mission de solidarité de proximité où le représentant a un rôle de « veilleur ». Il est vigilant au climat social des équipes, se rapproche des salariés en difficultés pour les écouter, les conseiller et les orienter.
  • Une mission de porte-parole et de proposition de solution. La résolution de certaines tensions interpersonnelles nécessite des arbitrages. Le représentant peut certes aiguiller le salarié pour qu’il trouve au niveau de la hiérarchie un interlocuteur pour lui répondre mais il peut aussi l’accompagner dans ses démarches.
  • Une mission d’alerte : dans les cas les plus graves et les plus urgents, le représentant dispose de droits d’alerte pour déclencher auprès de sa direction une réaction rapide et une enquête paritaire afin de faire la lumière sur la situation pour que l’entreprise prenne les décisions nécessaires au rétablissement d’un environnement de travail sûr et sain.

Il faut bien avoir en tête que le cadre légal et jurisprudentiel impose à l’employeur de prendre au sérieux les conflits interpersonnels et leurs possibles impacts pour la santé des travailleurs. Par exemple, l’inertie de l’employeur face à une situation de souffrance au travail provoquée par un conflit entre collègues constitue un manquement à son obligation de sécurité, justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié, (Cass. Soc., 22 juin 2017, n°16-15.507). Selon la Cour de cassation, « l’employeur aurait dans un premier temps dû tenter de résoudre le conflit dans le cadre d’une médiation. A défaut, il aurait dû séparer ces deux collègues en proposant à la salariée en souffrance, sans attendre la fin de son arrêt de travail pour maladie, soit  un changement de bureau comme préconisé par le médecin du travail, soit un poste disponible dans un autre centre à proximité. »

Par ailleurs, quand certaines approches managériales pourraient vouloir se limiter à traiter les conflits dans une approche interindividuelle, le CSE est un « gardien » des intérêts du collectif de travail. C’est dans le rôle des élus d’adopter une approche collective et même systémique qui, de chaque manifestation particulière de tension, interroge l’ensemble du système.

Alors, certes il est inévitable que le fait de travailler à plusieurs mettent en présence des points de vue différents, certes il arrive que de cette confrontation des points de vue découlent des tensions interpersonnelles qui peuvent déboucher sur des conflits, mais ce n’est pas pour autant que nous devons considérer ces heurts comme des fatalités ! Si le rôle du dialogue social dans la régulation de ces tensions est essentiel, il est encore plus crucial dans le signalement et le traitement des conflits et des crises. Pensez à nous solliciter si vous êtes confrontés à ces problématiques et que souhaitez être épaulés : CSE-Assistance demeure à vos côtés !